Chapitre 4
Des flocons de neige tombaient discrètement du ciel et se posaient sur mes cheveux, mon armure et mon visage. Je devais avoir 16 ans. Imaginez-vous un jeune homme avec de longs cheveux brun clair. De longs bras musclés qui tiennent un gourdin. Avec seulement peu de cicatrices. Déjà accepté parmi les guerriers dans ses jeunes années. N’hésitez pas à le regarder dans les yeux. On aime regarder dans des yeux si jeunes. Ils sont plein d’espoir, d’assurance et de haine.
En ce moment même, la haine est très présente, car il se bat. Il se bat contre un ancien camarade de classe qui vient juste d’entrer dans l’armée. Son nom est Robert et il n’a aucune chance. Le combattant au gourdin s’amuse avec lui, il esquive ses coups ou les pare. Puis il le fauche avec son gourdin. Son ex-camarade de classe choît à terre, crie de douleur et décroche ses protège-tibias. Le coup est passé à travers et a déchiré la chair.
La jambe est blessée.
Arrêtons. En un mot : j’étais bon. Pas seulement bon pour mon âge. J’étais vraiment bon. Bientôt je pus me mesurer aux meilleurs combattants d’Hockerheim, et mes ex-camarades de classe, qui avaient rejoint l’armée l’un après l’autre à mon image, n’avaient aucune chance contre moi.
Malgré tout, je me sentais mal dans mon rôle de jeune espoir de l’armée d’Hockerheim. D’une part, on n’assouvissait pas ma soif de vengeance. Bien sûr, nous attaquions de temps en temps de pauvres commerçants gaulois sans défense, tuions les travailleurs d’une mine d’acier, puis nous fuyions.
Certains jours, nous ravagions un champ de céréales gaulois. Mais nous agissions comme des voleurs qui avaient honte d’eux-mêmes, pas comme des guerriers. Notre armée était tout simplement trop petite pour une bataille rangée.
Ainsi, pendant des marches forcées de plusieurs jours, nous effectuions nos attaques ridicules. La haine bouillonnait en moi, et j’étais dépité de ne pouvoir nuire sérieusement aux gaulois. Je me sentais sans ressources, et cela ne faisait qu’augmenter ma colère.
Je serais probablement mort de déception un jour, j’étais sur le point de me rendre seul au prochain village gaulois et me battre jusqu'à ce que l’on m’ai maîtrisé. Bastooooon !!!
Mais je la rencontrai à nouveau. Elle portait un lourd fardeau et ses joues étaient toutes rouges alors qu’elle montait le « Chauve ». Je faisais justement une pause après un combat contre le vieux combattant à la hache contre qui j’aimais me battre parce qu’il savait merveilleusement bien raconter les histoires sur Martin. Lorsque je vis Heike a 200 mètres de moi, je le priai de m’excuser et allai à sa rencontre.
Peux-tu me dire ou je peux trouver le général Reinhardt, guerrier ? Je dois lui livrer les armes de mon père. » Elle dit cela sans me regarder, ses yeux brillants se balladaient le long de mon armure, comme si les humains ne lui étaient d’aucune importance, et que mon armure était un vieille amie à elle.
"Oui, il devrait être à la place d’entraînement là-bas. Tu veux que je t’aide à porter, Heike ?", demandais-je, et je sentais que mon cœur devenait fou et m’envoyait plein de sang dans la tête. Alors elle sourit et me regarda : « Non merci, ça... Boris ? »
"Mais, Boris, qu'est-ce que tu fais là ? », demanda-t-elle, sautilla de joie, laissa tomber son chargement, si bien que des épées étincelantes tombèrent dans le sable, puis elle me sauta au cou. « Je suis devenu soldat parce que je veux me venger des Gaulois ! », répondis-je. « Ca c’est bien, détruis-les ! », dit Heike et me serra dans ses bras.
Nous échangeâmes des souvenirs. Il fallait que je lui raconte tout sur ma vie de soldat, et qu’elle me parle d’elle. Elle non plus n’était pas retournée a l’école après l’attaque, mais elle avait décidé d’aider son père toute la journée à la forge. Elle l’aidait déjà avant l’attaque, mais depuis, son père avait perdu sa femme et son pouce droit et avait obligatoirement besoin d’elle.
Ainsi, son père lui enseigna l’art de la forge plus précisément qu’il ne l’avait fait avant l’attaque, puisque lui ne pouvait plus forger d’armes. Ainsi, Heike forgeait les lames et son père les poignées, et il livrait la marchandise.
Il était très heureux d'être avec elle, et ses clients ne constataient aucune baisse quant à la qualité des lames. Au contraire, certains disaient élogieusement qu'elles étaient mieux qu'avant. Mais depuis quelques semaines les relations père-fille avaient changé. Le père avait lancé des regards sur les villages germains environnants afin de trouver un mari digne de sa fille. Il crut trouver la perle rare pour sa fille dans une fonderie d'armes à Unna, une plus grosse cité qui se trouvait un peu plus à l'intérieur des terres.
Son père l'y avait un jour emmenée. C'était un bellâtre aux cheveux noirs d'une bonne vingtaine d'années. Lorsqu'il se montra interessé et qu'elle le repoussa - elle ne voulait pas encore se marier, elle avait tenté de le dire à son père depuis déjà des semaines, et son grand âge l'effrayait - le père devint grincheux.
Mais depuis que le jeune homme, sans doute très sympathique, avait proposé à Heike de reconsidérer sa demande et qu'il ne voulait pas la brusquer, mais qu'il était tout de même rentré chez lui, le père de Heike n'adressait plus la parole a sa fille. Il restait assis et grognait. Lorsqu'elle le priait de faire quelques poignées de haches, il l'engueulait avec des mots incompréhensibles. Elle ne l'avait jamais vu comme ça. Cela durait depuis quelques mois, et elle etait contrainte de tout faire elle-même : la forge des lames, tenir la maison, la création de poignées et la livraison d'armes finies.
Elle acheva ainsi sa triste histoire, et déclara en soupirant qu'il était déja tard et qu'elle avait beaucoup de travail à la maison. Elle me demanda d'amener les armes au père de Robert et s'en alla.
Ce même soir je me tenais devant sa fenêtre. Je tenais dans la main une boule de neige que j'avais faite afin de la lancer sur le carreau pour attirer son attention. Je m'étais imaginé qu'elle sortirait pour se promener avec moi dans la nuit. Mais je retins la boule. La maison telle qu'elle était devant moi me semblait étrangère, morte. Peut-être la chambre que j'avais supposée appartenant à Heike appartenait en fait à son père ? Peut-être refuserait-elle de me voir? En tout cas, je ne pouvais me résoudre à lancer la boule et je rentrai d'un pas mal assuré à la maison. Oui, j'ai sorti Heike de ma tête et j'ai repris ma vie de manière peu convaincante, comme si je devais malgré tout penser à elle à chaque instant.
Le père de Robert était le dernier et par la même ocasion le plus haut gradé des paladins de notre village. A la mémoire de Martin, qui avait aussi été paladin, c'était toujours un paladin qui menait notre armée. Lors de l'attaque des Gaulois, le plus haut gradé des paladins avait été tué, si bien que le père de Robert avait pris sa place. Ainsi, tout le monde ne l'appelait plus que Général Reinhardt. Meme Robert devait l'appeler ainsi.
Général Reinhardt planifiait toutes les escarmouches que nous entreprenions dans notre sentiment d'impuissance. Lorsque je lui apportai les armes, il entra dans un état euphorique. Il prit les épées, les haches et les gourdins en main et évalua leur qualité. Puis il sourit et dit "Avec de telles armes, l'attaque ne pourra être qu'une réussite !"
Il avait prévu l'attaque à long terme, mais il nous avait parlé de ses plans il y a peu. L'éclaireur de notre village avait découvert, à une semaine de marche, un petit village gaulois qui était sans protection militaire. Le général était plus qu'heureux. Enfin nous allions avoir l'occasion de nous mesurer à armes égales avec les gaulois, disait-il. Une véritable attaque était ce dont nous avions besoin, et ce que je souhaitais après nos petites attaques contre les Gaulois.
Depuis que le général nous avait informé de l’assaut prévu, l’armée de notre village s’entraînait avec encore plus de motivation. Je sentais ma soif de vengeance grandir de jour en jour et mon attitude n’était plus qu’impatience à l’idée de la bataille. Les entraînements pleins de sacrifices jusque tard la nuit, les nuits blanches à me retourner dans mon lit, quand je m’imaginais le champ de ma vengeance, toute mes pensées complètement fixées dessus…
Ainsi je n’ai pas accordé beaucoup d’attention à Heike lorsqu’elle est venue pour la deuxième fois sur le Mont-Martin. Cette fois, elle ne venait pas pour une livraison, mais, elle s’assit sur le bord de la place d’entraînement, m’observant en attendant que nous fassions une pause.
Quand ce temps fut venu, elle vint à moi pour me demander de discuter un instant. Nous flânâmes à travers le tendre paysage hivernal. Les dernières neiges de l’hiver dévoilaient à certains endroits des fourrés morts, qu’elles avaient cachées depuis l’automne.
"Je suis venue car je ne sais pas quoi faire", commença-t-elle. « Et à part toi, je ne sais pas à qui parler, Boris ». Je déglutis. Bien, sûr, elle-même était la personne au monde en qui j’avais le plus confiance, mais pas parce que je la connaissais bien, mais parce que je l’aimais, je la déifiais dans mes rêves. Cela me fit une peine sans fin qu’elle n’ait personne avec qui parler. « Qu’y a-t-il ? », dis-je tout doucement, à travers ma gorge nouée. J’étais mauvais pour les discours, je n’avais rien fait d'autre que combattre durant l’année passée.
"Mon père aimerait que je me marie maintenant.", me répondit-elle. "Mais ce n'est pas grave, ton fiancé te laisse encore le temps avant que tu sois prête !", blaguais-je. "Non, mon père a trouvé un nouveau fiancé. Un autre forgeron d'une autre ville, plus grande et plus éloignée, une ville germaine qui s'appele Wolfsfeld. Elle se situe quelque part derriere La montagne Octave, a 2 semaines et demie a pied."
"S'il habite si loin, tu n'as pas à avoir peur de lui !", dis-je en souriant. Mais elle me jeta un regard de pierre et dit "Je suis désolée de t'avoir dérangé. Je me suis trompée. Je pensais que tu prendrais mes problèmes au serieux !"
"Je suis désolé ! je suis désolé !", lui criais-je en lui courant après. "Je sais pas ce qui m'est arrivé, je pense que c'est la tension avant la bataille. Raconte moi tout, je ferai tout ce que je pourrai pour t'aider !"
Elle se figea, et se retourna vers moi. Elle m'observa, tel un bandit pris sur le fait et qui prône son innnocence. "D'accord, je vais te raconter, mais si tu fais une seule autre remarque désobligeante, je disparais pour toujours de ta vie !", dit elle, déterminée. "Oui, je suis désolé... Ça devait être la tension...", lui dis-je.
"Le problème, c’est que cet armurier de Wolfsfeld est arrivé ici et que mon père a fixé la date du mariage pour dans une dizaine de jours ! Ce gros porc a au moins 50 ans, sa façon de manger est répugnante, et il répond à toutes les humiliations que je lui jette à la figure par un grand sourire stupide ! Il est si repoussant qu’à la seule pensée qu’il pourrait me toucher, j’ai envie de mourir ! Je ne pourrai pas supporter ça Boris… Je ne pourrai pas… », puis d’amers pleurs lui vinrent au visage, que j’aurais tant aimé essuyer. Mais je ne pouvais toujours pas la consoler. J’essayai de la cajoler d’une main maladroite et bafouillai quelque chose comme : „Ich lass’ mir was einfallen!“, „Wir kriegen das schon hin.“ oder „Du schaffst das schon!“ vor mich hin.
Elle m’a soudainement embrassé et je sentis la chaleur de son corps et de sa poitrine. Puis je sentis ses larmes et elle me donna un baiser. Je n’oublierai jamais ce baiser.
Lorsque la peine et le désir qui traversait nos jeunes corps s’étaient apaisés, nous vîmes les choses de façon plus objective. Je lui racontai que nous devions partir tôt le lendemain matin, pour nous battre contre le petit village gaulois dans le champ, et je lui promis que je serais de retour avant le mariage. Lorsque nous nous séparâmes, nous devînmes plus conscients de notre complet désespoir. Mais je lui promis de trouver une idée.